mardi 25 septembre 2012

Le malentendu Révolutionnaire et la légitimité de la Réaction

Je vais probablement vous surprendre en citant Ahmed Ounaies, mais dans une certaine mesure, ce ministre aussi farfelu qu’éphémère n’avait pas tort en disant qu’il n’y a pas eu de Révolution. Je pense même qu’une Révolution n’est pas souhaitable. Je m’explique :

Une révolte…qui a réussi

Tout cela commence par un malentendu sémantique à propos de la chose du 14 janvier. Etait-ce une « révolte » ou une « révolution » ? Parfois par amalgame et souvent par romantisme, nos compatriotes ont vite qualifié la fuite du tyran de « Révolution ». En réalité, les jours historiques de l’hiver 2010/ 2011 s’apparentent à leurs antécédents de 1978 et 1984, une révolte populaire et spontanée, un cri du peuple qui a trouvé sa quintessence dans le fameux « Dégage ! ».

Si « révolution » il y a, elle n’a commencé qu’après … or cela n’a pas immédiatement eu lieu. Les institutions de l’état ont continué à fonctionner comme auparavant et la gestion de la période transitoire s’est appuyée sur les textes préexistants, nommant ainsi le président du sénat à la présidence de la république et envisageant des élections dans les 6 mois suivant la vacation de pouvoir comme le stipulait la constitution de 59.

Appeler Révolution la simple chasse des Trabelsi et leurs amis de malfaiteurs serait leur faire trop d’honneur car, malgré tout le mal qu’ils ont pu faire, ils restent un détail insignifiant de l’histoire de ce pays. Avec le départ de la bande à ZABA, le pays s’est tout à coup débarrassé des parasites, des sangsues qui entravaient sa marche, et pouvait enfin avancer, simplement, vers la démocratie, dans le sens tracé par l’Histoire.

Ecrire l’histoire à sa mesure

Mais cette douce transition n’était pas du gout des tous. Il fallait reverser la table. L’agenda politique de certains ne pouvait s’accommoder d’une démarche purement constructive. Les frustrés voulaient prendre leur revanche et ceux qui avaient un vrai dessin politique devaient préparer le terrain le plus favorable à sa mise en œuvre.

Alors commença la mascarade des Casbah (s) à répétition. En entrainant les révolutionnaires de la 25eme heure, au poing serré et empreints d’esprit « dantonesque », les vrais politiciens ont pu dérouler leur agenda en imposant la première idée révolutionnaire : celle d’une réécriture de la constitution. Le discours romantique qui entourait cette idée empêchait d’y voir le piège : il s’agissait de renouveau, de doter le pays d’une constitution moderne, pour les générations futures, un projet de civilisation, une chance historique, bla bla bla…Même les plus lucides des politiciens se sentaient grisés par cette idée, se prenant déjà pour Robespierre ou Jefferson.

Une Révolution, pourquoi faire ?

Les éléctions gagnées, les vainqueurs sont désormais en mesure de faire la faire, leur "Révolution".

Une révolution qui impacterait profondément la vie des tunisiens, qui jetterait tout ce qu'a pu apporter l'ancien régime pour proposer des alternatives. Une révolution qui établirait un ordre nouveau, qui transformerait en profondeur le Tunisien, qui rénoverait les relations qu'ont les tunisens avec le monde extérieur, les uns avec les autres.  Cette Révolution serait le premier acte de l'émergence du Tunisien nouveau, réconcilié avec son identité, fier de sa culture, le premier acte pour une Tunisie débarrassée de la corruption et du clientélisme, ou une justice impartiale prévaut partout.

Mais… au delà de la beauté lyrique de ce charabia de politicard, tout ce que je viens de débiter ci-haut, n’est pas réaliste, mais surtout, ce n'est pas souhaitable.

On peut s'arrêter sur les évidents relents fascistes d'un tel projet "purificateur", mais je veux insister sur son aspect dévastateur pour la Tunisie.

« Réactionnaires » disent-ils !

Ce pays a certes une histoire multimillénaire, mais la nation tunisienne et l’état tunisien n’ont que 50 ans d’existence. Malgré les différences d’appréciation qu’on puisse avoir, force est de constater que le chemin parcouru est spectaculaire. Le système républicain et l’état moderne ainsi que la construction nationale entreprise depuis l’indépendance sont probablement la meilleure réalisation de notre histoire.

Ce socle, complexe, et difficile à édifier est enfin opérationnel pour la prochaine phase de développement aussi bien économique que sociétal.

Si les chantres de la révolution entendent détruire, amoindrir ou même déstabiliser cet acquis, je me déclare volontiers réactionnaire.

Le paradigme des ces « révolutionnaires » confond les gouvernants et leur œuvre. Etant réalisé par des « pourris » cet état nation est forcément « pourri ». Tout comme la constitution qui était « pourrie » et qu’il fallait réécrire, ils estiment que le « système » est pourri et qu’il faut le revoir. Le CPR, une certaine frange d’Ennahdha et d’autres courants politiques (comme celui de Mme Bensedrine), s’enferment dans une haine aveugle de la classe politique précédente et finissent par manquer de discernement : tantôt contre les ex-RCD, tantôt contre tous les Destouriens et Bourguibistes, ils identifient les édificateurs de ce pays à leurs bourreaux des années 70-80…une envie de revanche absurde et contre-productive.

En lisant ces quelques lignes, ils me classeront probablement parmi les collabos, car leur colère les empêche d’envisager autre chose de la punition de l’autre moitié du pays…à nous de les empêcher d’aller au bout de ce délire.

dimanche 1 juillet 2012

Les trois camps de la politique tunisienne

Le paysage politique tunisien post-Révolutionnaire n'est probablement pas limpide, mais il a gagné en lisibilité ces derniers temps. Après la confusion des élections du 23 octobre ou les idées faisaient crucialement défaut, on est aujourd’hui capables d'identifier trois camps politiques et leurs courants d’idées : les progressistes, les conservateurs et les nationalistes.
Les lignes de démarcation entre ces courants semblent se dessiner autour de la question identitaire et de la manière de l'appréhender.‬ A bien regarder, on peut même remonter à leurs origines, voire affirmer que leurs forces ont depuis longtemps travaillé la société. Leurs contours se dessinent progressivement car le champ de bataille démocratique, qui rend les débats d’idées explicites, le permet enfin.‬‪

1-‪Les progressistes ‬‬
Ce courant trouve ses origines dans la démarche réformatrice du 19eme et Khair-Eddine en est vraisemblablement le pionner. L'idée des progressistes consiste à dire que la Tunisie fait partie du monde tel qu'il est et doit vivre avec son temps. Décomplexés vis à vis de l'étranger, ils n'hésitent pas à copier et transposer ce qui marche ailleurs en termes de lois, de système éducatif, militaire voire social. Pour eux, la modernité est universelle et y rentrer n'est pas un choix. Tahar Haddad, probablement l'autre figure illustre de ce progressisme Tunisien n'a pas hésité à remettre en question la situation de la femme qu'il a su analyser avec clairvoyance. Ce modernise a pu par la suite se muer en communisme et autres gauchismes, en quête d'universalité plutôt que de lutte des classes. La génération "Perspectives" a été son porte étendard pendant les années 70. C'est cette idée qu'incarne El Joumhouri et ses alliés, celle d'une Tunisie ouverte et décomplexée, objectivement consciente de son retard et soucieuse de le rattraper.‪

2-‪Les conservateurs ‬‬
C'est la lignée des Zeitouniens. Ils ne sont pas contre la modernité mais pas à n'importe quel prix. Ils définissent le pays comme arabo-musulman avant tout et n'envisagent le changement qu'au travers de ce prisme. Ils s'étaient indignes des idées de Haddad et face à Bouguilba l'occidental, ils ont rallie Ben Youssef. Le nationalisme arabe les a un temps séduit mais c'est l'idéologie des frères musulmans qui leur a donne le socle idéologique nécessaire à une action politique entamée dans les  années 80.  Ennahdha et ses amis en sont aujourd'hui les dignes représentants.


3-‪Les nationalistes‬‬
L'idéologie sous-jacente à ce courant découle de la lutte pour l'indépendance et de l'obtention de celle ci. "Poussières d'hommes", les tunisiens avaient une patrie mais devaient constituer en nation dont Bourguiba et son Neo-destour furent les architectes. Ces derniers sont allé chercher des mythes fondateurs remontant à Jukurta et Hannibal, insiste sur l'unicité de cette terre d'Africa, loue le génie Tunisien, conceptualise la Tunisianité et dessine le "Projet civilisationnel" à entreprendre. Le PSD et le  RCD ont été l’incarnation de ce nationalisme et la constellation de partis qui en dérivent suite à l'éclatement de ce dernier prendront le flambeau une fois le choc de la révolution passé. l'Initiative de BCE est probablement le signe de résurrection.‬ Les partis évolueront mais ce nationalisme survivra comme socle ideologique, renforce par le mythe de Bourguiba, rétabli .‪‬‪‬‪

Chacune de ces trois familles est déclinable à l'infini avec différentes saveurs : les progressistes peuvent être communistes ou libéraux, les conservateurs peuvent être Islamisants ou arabisants et les nationalistes peuvent être de gauche ou de droite.‬

Ces trois familles sont irréductibles car leurs propositions sont souvent orthogonales. Des alliances sont néanmoins possibles. Ainsi, les nationalistes et les progressistes se retrouvent dans la laïcité face à des conservateurs islamistes, ennahdha et les nationalistes se retrouvent dans l'ancrage identitaire face à des progressistes plutôt mondialistes, enfin, les progressistes et Ennahda se retrouveraient dans l'ouverture économique face à des nationalistes souvent protectionnistes.‬

jeudi 27 octobre 2011

Non à un gouvernement de soumission nationale

Les appels d’Ennahdha à former un gouvernement d'union nationale ne trompent personne. Certes calculée, cette posture est démagogique vis-à-vis du peuple et horriblement humiliante vis-à-vis des vaincus. La considérer est déjà s’abaisser, y participer s’est se soumettre et faillir à ses responsabilités.

Assumer la victoire : Inexpérimentés et déconnectés, les islamistes n’ont ni résisté à Ben Ali (depuis 95 environ), ni préparé la révolution ni su convaincre pendant une campagne mi figue mi raisin. Le chèque en blanc que leur signe 40% du peuple pour la beauté de leurs barbes est largement supérieur à leur capacité. Ce parti en reconstruction, sensé faire du ménage dans ses rangs le fera avec l’insolence du vainqueur. Sautant les étapes, il va croire que la Providence lui a confiée cette tache sacrée de reconstruire un pays. Il méprise déjà les perdants et annonce son candidat pour diriger le gouvernement. Aussi, il distribue la candidature à la présidence de la république avec un dédain dégoutant !
Conscient de la tache mais aveuglé par sa vanité, le parti ne peut pas résister à l’exercice du pouvoir. Qu’il le fasse, (1) pour s’y exercer, il en a bien besoin et (2) pour que les électeurs puissent juger sur l’action, à supposer que cela soit un critère de jugement…

Consolider l’opposition progressiste : On a toujours dit que les scores des élections du 23 octobre cristalliseront la photo du paysage politique. Maintenant c’est chose faite.
Ces mêmes scores dictent la conduite des responsables politique. Hormis les partis fantoches morts de fait, les progressistes sont clairement la seconde force du pays. Ils doivent aujourd’hui prendre leur responsabilité et s’organiser en opposition digne de ce nom.
L'émiettement de la force progressiste est très dommageable face à un gros bloc islamo conservateur dominant. Si avant les l’élection on pensait que la constituante était un terrain de jeu idéal pour peaufiner les contours de l'échiquier politique, on doit comprendre que c'est désormais un terrai de bataille politique pour contenir l'hégémonie Nahdaouie.
Il faut donc un travail d’introspection, une consolidation des forces en place, une simplification du message et une adaptation du discours sans lâcher sur les fondamentaux.

Une opposition forte est la seule garantie que notre démocratie fonctionne sur le long terme.

Les trois épouvantails d'Ennahdha

La raison d'être d'une dictature est la lutte contre un ennemi, son maintient est assuré par la peur de celui-ci.
Ainsi Ben Ali s'est justifié par sa lutte contre les islamistes, Castro, Khaddafi, Chavez les autres par leur opposition à l'impérialisme américain, etc etc...

Parceque le plébiscite d'Ennahdha semble s'expliquer (en partie) par des peurs, le risque que ce parti, une fois à court d'idées et fatigué de faire des sourires de façade, cède à la facilité d’y recourir, est à mon sens, important.


De quelles peurs parle-t-on:

1 – Les ennemis de la révolution : depuis le 14 janvier, Ennahdha et ses amis Kasbaouis on développé à merveille toute une théorie autour de l'« eltifef 3ala atthoura » ou la récupération d’une révolution qu’ils se sont appropriés à posteriori. Ils stigmatisent donc les ex-RCD et agitent l’épouvantail du retour en arrière. Ils veulent nous faire croire qu’ils sont la seule garantie contre cette régression en traitant leurs opposants d’oppostion de cartons, compromise sous Ben Ali.

2 – Les ennemis de la religion : le postulat de base (et mensonge grossier) à l’origine de cette deuxième peur est que l’identité arabo musulmane du Tunisien est menacée. Se déclarant comme les défenseurs de ces valeurs, les islamistes diabolisent tous leurs opposants progressistes. Le laique devient mécréant et le moderniste devient pro-occidental. Ils excellent au jeu d’amalgames évoquant la franc-maçonnerie, la collaboration avec l’étranger et par défaut la décadence des mœurs de ces gens, en somme amoraux..

3 – L’ennemi étranger : enfin, ils ne se gênent pas à utiliser la bonne vielle ficelle de l’ennemi impoérialo–sioniste tant ancrée malheureusement dans les pays arabes. Cette théorie du complot universel n’est pas de leur fait. Elle est portée par Al-Jazeera et autres médias barbus qui mélangent à souhait la colonialisme, la cause palestinienne, les guerres d’Irak et d’Afghanistan et autres faits pour une lecture géopolitique à la Huntington qui érige les islamistes au rang de résistants. L’homme de la rue (ai envie désormais dire de la 7ouma tant je suis déçu) y croit dur comme fer.

En jouant habilement sur ces trois plans et en alternant ces épouvantails au pauvre Kassirinois, au pseudo-intellectuel arabisant, au cadre haineux ou à la mère de famille conservatrice, ce courant politique peut s’assurer l’hégémonie culturelle et politique pour longtemps.

Le combattre en frontal est difficile tant ces arguments sont péremptoires.
L’enjeu est de s’adresser au Tunisien pour lui expliquer la nature exagérée et non fondée de ces peurs. Sans cette confiance en soi, en ses valeurs, le Tunisien ne dépassera jamais le stade de poussière d’homme. On ne peut pas regarder vers l’avenir, prétendre embrasser les valeurs universelles et construire l’homme moderne avec autant de préjugés.
Une révolution culturelle reste donc à faire, mais en attendant, il faut rester vigilent pour que le parti au pouvoir n’abuse pas de ces armes aussi rétrogrades que redoutables.

mardi 1 février 2011

La FN-isation d’Ennahdha

Ne nous voilons pas la face, la clé de voute pour l’achèvement de l’édifice révolutionnaire sera la résolution de la question islamiste. Le simple retour de Ghannouchi a commencé à diffuser un vent de panique auquel il ne faut certainement pas céder.

Le choix résolu de la démocratie exige une créativité dans la résolution de cette question. La répression qui fut efficace un moment donné pour éviter le pire s’est avérée contre productive à long terme, et surtout, elle est contradictoire avec les principes de liberté auxquels nous prétendons.

Ainsi, la lutte doit être avec des armes institutionnelles en prenant les précautions nécessaires. Bien évidemment, il faut rester intransigeant quant à la référence religieuse des partis politiques. S’il y a un truc à conserver de la constitution Ben Ali, c’est bien cela. Aussi, la réforme politique menée doit nous assurer une protection contre toute dérive populiste. Faisons confiance à la commission en charge de ces réformes politiques pour trouver la mécanique qui va bien, en considérant la proportionnelle par exemple...

Idéalement, il faudrait admettre les islamistes dans le jeu politique mais les cornersier comme les partis d’extrême droite dans la plupart des démocraties car à priori, c’est ce à quoi ils ressemblent. C'est notre FN à nous, et il faudra apprendre a vivre avec. Leur intégration prudente permettra de restaurer la confiance entre les différentes parties et au contact des réalités du pouvoir ces idéalistes pourraient (soyons optimistes) modérer leurs positions .

lundi 31 janvier 2011

La démocratie Tunisienne et le paradoxe du restau Chinois

Vous voyez les menus des restaus Chinois, avec leurs centaines de plats numérotés ?

Cela vous donne un sentiment d’abondance et une possibilité infinie de choix, mais en réalité, on se rend compte que la plupart des clients prennent toujours les mêmes deux ou trois plats. Nems, Poulet au curry et canard laqué mais guère au delà…Alors que le même client peut passer du temps à choisir entre viande et passion dans un restaurant français à la carte succincte, ici il semble se réfugier vers ce qu’il connait, ne prenant pas la peine de considérer le reste.
Il en va de même pour la démocratie tunisenne en devenir.
La foultitude de candidats et de partis potentiels pour les prochaines élections laisse présager une élection « restau chinois ». Novice en démocratie, le Tunisien lambda votera selon des critères qui ne seront pas forcément objectifs…d’ailleurs pas plus que l’américain moyen, sensible aux couleurs qui entourent le candidat ( !) ou le français moyen, victime d’une récente peopolisation de la politique…
Le tort ne sera donc pas celui du citoyen mais celui de la carte qui lui est proposée.
En démultipliant les alternatives, on finit par ne plus discerner les candidats, poussant ainsi les gens sur leur zone de confort qui est pour beaucoup l’islamisme... A force de se prendre pour des messies, les opposants risquent d’offrir sur un plateau le pouvoir aux plus radicaux suiveurs du Prophète.
Il est donc urgent de donner de la lisibilité et de ramasser le débat entre un nombre restreint de problématiques et de personnalités.

samedi 29 janvier 2011

La nécessaire refonte du paysage politique

Certains diraient qu'il n'y a jamais eu de politique en Tunisie. Seule la force terrible du régime et le dictat du parti régnaient. Le déguisement démocratique n'était qu'une triste mascarade dont les opposants de tous bords étaient les figurants.
En ayant une lecture plus objective, on peut néanmoins voir que de réelles forces politiques on toujours travaillé notre pays, et qui, à défaut de contester le pouvoir à l'ancien régime, ont pu directement ou indirectement influencer ses actions.
Ces forces se sont construites contre le régime. Leurs stratégies étaient la lutte, la contestation, la dénonciation, l'indignation. Leur tactiques s'adaptaient à la forme du régime, y cherchaient la faille. Les grèves orchestrées par les uns, la cyber-contestation et les pamphlets publiés par les autres ne visaient qu'à affaiblir le monstre.
La disparition brutale du régime et le délitement prévisible du parti sont certainement leurs victoires. Mais, se retrouvant sans ennemi, ils semblent perdus. L'usage inapproprié de la grève par l'UGTT est le meilleur exemple d'une organisation mono-vocation qui se retrouve en crise face à la responsabilité qui lui incombe. Tout comme le venin que se jettent mutuellement les opposants « individuels » prouve qu’ils peinent à changer de discours.
La situation exige de tous ces acteurs de s’adapter au nouveau jeu politique. Ceux qui se transformeront de manière proactive seront préparés à mieux affronter les prochains défis, les autres y seront contraints par le cours des événements.

UGTT
De par sa structure et la qualité de ses militants, la puissante centrale syndicale est certainement la première force politique du pays. Plus qu’un simple syndicat, elle s'apparente à un parti d'opposition, et à l'instar du RCD, elle a abrité toutes les tendances politiques. Fer de lance de la gauche dans les années 70, le syndicat a été largement "infiltré" par les islamistes dans les années 80 et a su survivre, pragmatique par la suite. Les quelques affaires de corruption de ses dirigeants dans les années 90 n'ont pas terni le prestige de l'organisation de Mohammed Ali et Farhad Hached. Mais face à la situation actuelle et en dépit de sa puissance, l'UGTT traverse une crise. L'orientation est floue, le leadership de Jrad est contesté et l'opposition des courants internes est manifeste. La non participation au gouvernement de transition 2 est due à un flottement qui devrait être éclairci lors du prochain congrès.
L’UGTT devra décider sur sa volonté à exercer le pouvoir, quitte à donner naissance à un parti politique affilié afin d’éviter le mélange des genres. Aussi, les forces qui la travaillent de l’intérieur pourraient finir par la scinder…après tout, un syndicat unique n’est probablement pas sain. Quelque soit la forme qu’elle prendra, l’UGTT va devoir clarifier son projet social et économique, se positionner sur les grandes questions nationales pour mieux participer à la reconstruction.

Les petits partis et les individualités
Cette deuxième force est elle-même composée d’une mosaïque de petits partis et (grands?) individus, aux idées différentes mais aux défis semblables, car, malgré leur courage et leurs luttes, ils n'ont ni une proposition articulée ni une base installée. Ils sont tellement déconnectés des masses que prétendre au pouvoir de leur part ressemble à une imposture. Ni Marzouki avec sa persévérance ni Mekki avec son franc parler n’arrivent à convaincre. Ben Brik, Hammami et les autres sont des figures emblématiques de la résistance mais ils sont trop intellos pour faire vibrer les foules qui les prennent pour des « nabbaras » rien de plus ! Seuls Chebbi et Brahim ont l’opportunité de gouverner pendant la transition et de démontrer ainsi leurs compétences, mais leurs partis respectifs sauront ils transformer leurs réalisations en adhésion populaire ?
S’ils veulent jouer un rôle, tous doivent impérativement commencer à travailler une base et à expliquer une orientation. Au contact de la population, ils doivent expliciter leur positionnement et expliquer leurs différences.

Les Islamistes
Le problème des islamistes est inverse. Alors que leur assise morale sera toujours solide et leurs arguments efficaces auprès d’une base meurtrie mais rapidement mobilisable, ils ne sont absolument pas crédibles auprès des élites du pays. Apres tout, le couple Zaba – R. Ghannouchi est le Dr Jekyll et Mr Hyde de nos années 80. Ennahdha évoque le sectarisme et l’obscurantisme chez nombre de nos concitoyens et sa réapparition dans le paysage ne fera que les crisper, entravant la marche du processus démocratique. S’ils se préoccupent de l’intérêt général, ce parti et son leader doivent faire un travail d’introversion très approfondi doublé d’une communication intense pour se blanchir. Ils doivent clairement nous attester leur adhésion à la démocratie et à la laïcité. Il faut qu’ils reconnaissent le tourisme européen comme un pilier incontournable de notre économie au lieu d’y voir un signe de décadence. Déclarer 24 qu’ils ne visent pas à instaurer la charia est certes bien mais reste encore trop vague. Il faut aussi qu’ils nous rassurent sur leurs fréquentations. Nous sommes ravis de les savoir proches de l’AKP mais seront encore plus rassurés s’ils exprimaient leur distance avec les terroristes de tous bords.
Nous avons eu la chance d’avancer sans que la question islamiste soit au centre du débat. Elle finira par s'installer. Il faudra qu’on s’y prépare tous, partisans et opposants.

Les jeunes
Emergente mais décisive, la place des jeunes dans le paysage politique est désormais incontournable. Eduqués ou pas, ils doivent participer au remodelage du paysage politique. Avec leurs décentes dans la rue ou leur cyberactivisme, les jeunes on fait la révolte. Il faut maintenant qu’ils s'invitent dans la révolution mais en changeant d'approche : Arrivera un point ou les manifestations deviendront au pire contreproductives au mieux inaudibles. La participation effective au débat sera la seule forme de l'influencer. Les jeunes doivent massivement investir les partis et associations de tous bords. Il doivent choisir le meilleur relais à leurs doléances. Ils doivent comprendre que les partis sont des outils à leur dispositions pour alimenter un débat démocratique constructif.

…et le RDC ?
Affaibli et décrié, le parti recule et cède. Le peuple qui, par son "Dégage", souhaitait une disparition pure et simple du RCD ne verra (malheureusement) pas son vœux réalisé. Les cadres et militants de ce parti ne sont pas prêts à abandonner la scène et tenteront de se régénérer coute que coute. Faute de leader charismatique, je pense que le parti se subdivisera en plusieurs courants. Le Bourguibiste moderniste, le nationaliste, la droite populaire plus conservatrice etc… Comme Morjane, des personnalités créeront leurs partis en par spinoff consécutives, vidant RCD dont seul l'esprit subsistera. Une fois le traumatisme Benaliste passé, une galaxie néo-RCD aura son mot à dire, car malgré tout le tort qu’elle a causé, elle s’est toujours vue porteuse du fameux « projet civilisationnel » tunisien. Et maintenant que celui-ci passe effectivement à la vitesse supérieure, elle y serait une partie prenante.

Les mois à venir permettront au gouvernement de transition et aux commissions de remettre à plat les règles démocratiques pour préparer le terrain de jeu. A chaque partie de se mettre en ordre de bataille pour disputer au mieux ce « championnat » démocratique dans un esprit sportif !

dimanche 16 janvier 2011

Ni Militaire, ni Islamiste ni Apparatchik !

L'énorme victoire sur la tyrannie reste fragile et inachevée. La prochaine échéance électorale sera déterminante pour transformer la Révolte de SidiBouzid en vraie Révolution du Jasmin. Comme tous les tunisiens je suis optimiste…je me laisse rêver et je vois un printemps démocratique et du bonheur dans notre pays...Mais ne pouvant pas m'empêcher d'être réaliste, je perçois des dangers qui peuvent tout plomber...
Les prochaines élections concerneront les présidentielles et une dissolution de l'assemblée dans ce contexte semble improbable.
Le choix de l'homme ou la femme qui achèvera la révolution en assurant le premier mandat véritablement démocratique sera naturellement déterminant. Pour l’instant, aucun candidat ne se démarque clairement. Les Tunisiens ne connaissent qu’une poignée de figures politiques, et encore, nous les connaissons mal!
En attendant que candidatures déclarent et que des programmes nous soient proposés, on peut dores et déjà dire que trois types de profils seraient indésirables : le militaire, l’Islamiste et l’Apparatchik.

  • Alors que nous vivons une vraie histoire d’amour avec l’armée nationale, désormais seule capable de garantir la sécurité du pays, il serait clairement mal venu qu’un militaire succède au Général Ben Ali. L’armée sera le dernier rempart, le garant de la stabilité du pays mais n’a aucune place dans le processus démocratique.
  • Evidemment Musulman, le prochain président se doit respecter la religion. Le peuple Tunisien reste largement conservateur.et une grande partie des nos concitoyens n’utiliseront que ce prisme pour juger la valeur morale des candidats. Ceci étant dit, un candidat Islamiste déclaré est clairement indésirable. R. Ghuannouchi par exemple est largement à coté de la plaque…Exactement comme Ben Ali, il est resté coincé ans une ancienne conception du monde et de la politique Tunisienne. Tous les deux n’ont pas compris qu’on n’est plus en 1989 !...
    Mais au-delà de cette personnalité du passé qui se croit encore influente, aucun Islam politique n’est admissible. Nous sommes tous musulmans.
    Enfin, l’émergence d’un parti conservateur, mais résolument démocrate, reste en revanche une chose saine pour représenter les aspirations des gens. Ces conservateurs ne peuvent et doivent pas se construire sur les ruines d’Ennahdha, mais avec une approche plus moderne.
  • Le RCD (qui ne fera pas long feu en tant que parti) reste un réservoir de cadres et personnalités d’envergure. Tant de technocrates et de compétences l’ont rejoint par simple opportunisme ou sous la contrainte. Qu’un candidat émerge de là n’est pas choquant, dés lors qu’il se démarque clairement de l’appareil. Pour que le changement soit perceptible, il faudrait éviter les Apparatchiks qui ont trempé trop longtemps dans le système.

L’ouverture dans le gouvernement d’union nationale nous donnera déjà des indications, mais nous attendons les candidatures avec impatience pour que tout le monde s’engage dans le processus.Le peuple a fait son travail : descendre dans la rue et déloger le pouvoir. Maintenant c’est à l’élite de donner du sens à ce qui se passe et de proposer les alternatives.

Mabrouk





Une Nessma de Liberté qui sent le Jasmin…
Barberousse en est ivre…