mardi 25 septembre 2012

Le malentendu Révolutionnaire et la légitimité de la Réaction

Je vais probablement vous surprendre en citant Ahmed Ounaies, mais dans une certaine mesure, ce ministre aussi farfelu qu’éphémère n’avait pas tort en disant qu’il n’y a pas eu de Révolution. Je pense même qu’une Révolution n’est pas souhaitable. Je m’explique :

Une révolte…qui a réussi

Tout cela commence par un malentendu sémantique à propos de la chose du 14 janvier. Etait-ce une « révolte » ou une « révolution » ? Parfois par amalgame et souvent par romantisme, nos compatriotes ont vite qualifié la fuite du tyran de « Révolution ». En réalité, les jours historiques de l’hiver 2010/ 2011 s’apparentent à leurs antécédents de 1978 et 1984, une révolte populaire et spontanée, un cri du peuple qui a trouvé sa quintessence dans le fameux « Dégage ! ».

Si « révolution » il y a, elle n’a commencé qu’après … or cela n’a pas immédiatement eu lieu. Les institutions de l’état ont continué à fonctionner comme auparavant et la gestion de la période transitoire s’est appuyée sur les textes préexistants, nommant ainsi le président du sénat à la présidence de la république et envisageant des élections dans les 6 mois suivant la vacation de pouvoir comme le stipulait la constitution de 59.

Appeler Révolution la simple chasse des Trabelsi et leurs amis de malfaiteurs serait leur faire trop d’honneur car, malgré tout le mal qu’ils ont pu faire, ils restent un détail insignifiant de l’histoire de ce pays. Avec le départ de la bande à ZABA, le pays s’est tout à coup débarrassé des parasites, des sangsues qui entravaient sa marche, et pouvait enfin avancer, simplement, vers la démocratie, dans le sens tracé par l’Histoire.

Ecrire l’histoire à sa mesure

Mais cette douce transition n’était pas du gout des tous. Il fallait reverser la table. L’agenda politique de certains ne pouvait s’accommoder d’une démarche purement constructive. Les frustrés voulaient prendre leur revanche et ceux qui avaient un vrai dessin politique devaient préparer le terrain le plus favorable à sa mise en œuvre.

Alors commença la mascarade des Casbah (s) à répétition. En entrainant les révolutionnaires de la 25eme heure, au poing serré et empreints d’esprit « dantonesque », les vrais politiciens ont pu dérouler leur agenda en imposant la première idée révolutionnaire : celle d’une réécriture de la constitution. Le discours romantique qui entourait cette idée empêchait d’y voir le piège : il s’agissait de renouveau, de doter le pays d’une constitution moderne, pour les générations futures, un projet de civilisation, une chance historique, bla bla bla…Même les plus lucides des politiciens se sentaient grisés par cette idée, se prenant déjà pour Robespierre ou Jefferson.

Une Révolution, pourquoi faire ?

Les éléctions gagnées, les vainqueurs sont désormais en mesure de faire la faire, leur "Révolution".

Une révolution qui impacterait profondément la vie des tunisiens, qui jetterait tout ce qu'a pu apporter l'ancien régime pour proposer des alternatives. Une révolution qui établirait un ordre nouveau, qui transformerait en profondeur le Tunisien, qui rénoverait les relations qu'ont les tunisens avec le monde extérieur, les uns avec les autres.  Cette Révolution serait le premier acte de l'émergence du Tunisien nouveau, réconcilié avec son identité, fier de sa culture, le premier acte pour une Tunisie débarrassée de la corruption et du clientélisme, ou une justice impartiale prévaut partout.

Mais… au delà de la beauté lyrique de ce charabia de politicard, tout ce que je viens de débiter ci-haut, n’est pas réaliste, mais surtout, ce n'est pas souhaitable.

On peut s'arrêter sur les évidents relents fascistes d'un tel projet "purificateur", mais je veux insister sur son aspect dévastateur pour la Tunisie.

« Réactionnaires » disent-ils !

Ce pays a certes une histoire multimillénaire, mais la nation tunisienne et l’état tunisien n’ont que 50 ans d’existence. Malgré les différences d’appréciation qu’on puisse avoir, force est de constater que le chemin parcouru est spectaculaire. Le système républicain et l’état moderne ainsi que la construction nationale entreprise depuis l’indépendance sont probablement la meilleure réalisation de notre histoire.

Ce socle, complexe, et difficile à édifier est enfin opérationnel pour la prochaine phase de développement aussi bien économique que sociétal.

Si les chantres de la révolution entendent détruire, amoindrir ou même déstabiliser cet acquis, je me déclare volontiers réactionnaire.

Le paradigme des ces « révolutionnaires » confond les gouvernants et leur œuvre. Etant réalisé par des « pourris » cet état nation est forcément « pourri ». Tout comme la constitution qui était « pourrie » et qu’il fallait réécrire, ils estiment que le « système » est pourri et qu’il faut le revoir. Le CPR, une certaine frange d’Ennahdha et d’autres courants politiques (comme celui de Mme Bensedrine), s’enferment dans une haine aveugle de la classe politique précédente et finissent par manquer de discernement : tantôt contre les ex-RCD, tantôt contre tous les Destouriens et Bourguibistes, ils identifient les édificateurs de ce pays à leurs bourreaux des années 70-80…une envie de revanche absurde et contre-productive.

En lisant ces quelques lignes, ils me classeront probablement parmi les collabos, car leur colère les empêche d’envisager autre chose de la punition de l’autre moitié du pays…à nous de les empêcher d’aller au bout de ce délire.

dimanche 1 juillet 2012

Les trois camps de la politique tunisienne

Le paysage politique tunisien post-Révolutionnaire n'est probablement pas limpide, mais il a gagné en lisibilité ces derniers temps. Après la confusion des élections du 23 octobre ou les idées faisaient crucialement défaut, on est aujourd’hui capables d'identifier trois camps politiques et leurs courants d’idées : les progressistes, les conservateurs et les nationalistes.
Les lignes de démarcation entre ces courants semblent se dessiner autour de la question identitaire et de la manière de l'appréhender.‬ A bien regarder, on peut même remonter à leurs origines, voire affirmer que leurs forces ont depuis longtemps travaillé la société. Leurs contours se dessinent progressivement car le champ de bataille démocratique, qui rend les débats d’idées explicites, le permet enfin.‬‪

1-‪Les progressistes ‬‬
Ce courant trouve ses origines dans la démarche réformatrice du 19eme et Khair-Eddine en est vraisemblablement le pionner. L'idée des progressistes consiste à dire que la Tunisie fait partie du monde tel qu'il est et doit vivre avec son temps. Décomplexés vis à vis de l'étranger, ils n'hésitent pas à copier et transposer ce qui marche ailleurs en termes de lois, de système éducatif, militaire voire social. Pour eux, la modernité est universelle et y rentrer n'est pas un choix. Tahar Haddad, probablement l'autre figure illustre de ce progressisme Tunisien n'a pas hésité à remettre en question la situation de la femme qu'il a su analyser avec clairvoyance. Ce modernise a pu par la suite se muer en communisme et autres gauchismes, en quête d'universalité plutôt que de lutte des classes. La génération "Perspectives" a été son porte étendard pendant les années 70. C'est cette idée qu'incarne El Joumhouri et ses alliés, celle d'une Tunisie ouverte et décomplexée, objectivement consciente de son retard et soucieuse de le rattraper.‪

2-‪Les conservateurs ‬‬
C'est la lignée des Zeitouniens. Ils ne sont pas contre la modernité mais pas à n'importe quel prix. Ils définissent le pays comme arabo-musulman avant tout et n'envisagent le changement qu'au travers de ce prisme. Ils s'étaient indignes des idées de Haddad et face à Bouguilba l'occidental, ils ont rallie Ben Youssef. Le nationalisme arabe les a un temps séduit mais c'est l'idéologie des frères musulmans qui leur a donne le socle idéologique nécessaire à une action politique entamée dans les  années 80.  Ennahdha et ses amis en sont aujourd'hui les dignes représentants.


3-‪Les nationalistes‬‬
L'idéologie sous-jacente à ce courant découle de la lutte pour l'indépendance et de l'obtention de celle ci. "Poussières d'hommes", les tunisiens avaient une patrie mais devaient constituer en nation dont Bourguiba et son Neo-destour furent les architectes. Ces derniers sont allé chercher des mythes fondateurs remontant à Jukurta et Hannibal, insiste sur l'unicité de cette terre d'Africa, loue le génie Tunisien, conceptualise la Tunisianité et dessine le "Projet civilisationnel" à entreprendre. Le PSD et le  RCD ont été l’incarnation de ce nationalisme et la constellation de partis qui en dérivent suite à l'éclatement de ce dernier prendront le flambeau une fois le choc de la révolution passé. l'Initiative de BCE est probablement le signe de résurrection.‬ Les partis évolueront mais ce nationalisme survivra comme socle ideologique, renforce par le mythe de Bourguiba, rétabli .‪‬‪‬‪

Chacune de ces trois familles est déclinable à l'infini avec différentes saveurs : les progressistes peuvent être communistes ou libéraux, les conservateurs peuvent être Islamisants ou arabisants et les nationalistes peuvent être de gauche ou de droite.‬

Ces trois familles sont irréductibles car leurs propositions sont souvent orthogonales. Des alliances sont néanmoins possibles. Ainsi, les nationalistes et les progressistes se retrouvent dans la laïcité face à des conservateurs islamistes, ennahdha et les nationalistes se retrouvent dans l'ancrage identitaire face à des progressistes plutôt mondialistes, enfin, les progressistes et Ennahda se retrouveraient dans l'ouverture économique face à des nationalistes souvent protectionnistes.‬