samedi 29 janvier 2011

La nécessaire refonte du paysage politique

Certains diraient qu'il n'y a jamais eu de politique en Tunisie. Seule la force terrible du régime et le dictat du parti régnaient. Le déguisement démocratique n'était qu'une triste mascarade dont les opposants de tous bords étaient les figurants.
En ayant une lecture plus objective, on peut néanmoins voir que de réelles forces politiques on toujours travaillé notre pays, et qui, à défaut de contester le pouvoir à l'ancien régime, ont pu directement ou indirectement influencer ses actions.
Ces forces se sont construites contre le régime. Leurs stratégies étaient la lutte, la contestation, la dénonciation, l'indignation. Leur tactiques s'adaptaient à la forme du régime, y cherchaient la faille. Les grèves orchestrées par les uns, la cyber-contestation et les pamphlets publiés par les autres ne visaient qu'à affaiblir le monstre.
La disparition brutale du régime et le délitement prévisible du parti sont certainement leurs victoires. Mais, se retrouvant sans ennemi, ils semblent perdus. L'usage inapproprié de la grève par l'UGTT est le meilleur exemple d'une organisation mono-vocation qui se retrouve en crise face à la responsabilité qui lui incombe. Tout comme le venin que se jettent mutuellement les opposants « individuels » prouve qu’ils peinent à changer de discours.
La situation exige de tous ces acteurs de s’adapter au nouveau jeu politique. Ceux qui se transformeront de manière proactive seront préparés à mieux affronter les prochains défis, les autres y seront contraints par le cours des événements.

UGTT
De par sa structure et la qualité de ses militants, la puissante centrale syndicale est certainement la première force politique du pays. Plus qu’un simple syndicat, elle s'apparente à un parti d'opposition, et à l'instar du RCD, elle a abrité toutes les tendances politiques. Fer de lance de la gauche dans les années 70, le syndicat a été largement "infiltré" par les islamistes dans les années 80 et a su survivre, pragmatique par la suite. Les quelques affaires de corruption de ses dirigeants dans les années 90 n'ont pas terni le prestige de l'organisation de Mohammed Ali et Farhad Hached. Mais face à la situation actuelle et en dépit de sa puissance, l'UGTT traverse une crise. L'orientation est floue, le leadership de Jrad est contesté et l'opposition des courants internes est manifeste. La non participation au gouvernement de transition 2 est due à un flottement qui devrait être éclairci lors du prochain congrès.
L’UGTT devra décider sur sa volonté à exercer le pouvoir, quitte à donner naissance à un parti politique affilié afin d’éviter le mélange des genres. Aussi, les forces qui la travaillent de l’intérieur pourraient finir par la scinder…après tout, un syndicat unique n’est probablement pas sain. Quelque soit la forme qu’elle prendra, l’UGTT va devoir clarifier son projet social et économique, se positionner sur les grandes questions nationales pour mieux participer à la reconstruction.

Les petits partis et les individualités
Cette deuxième force est elle-même composée d’une mosaïque de petits partis et (grands?) individus, aux idées différentes mais aux défis semblables, car, malgré leur courage et leurs luttes, ils n'ont ni une proposition articulée ni une base installée. Ils sont tellement déconnectés des masses que prétendre au pouvoir de leur part ressemble à une imposture. Ni Marzouki avec sa persévérance ni Mekki avec son franc parler n’arrivent à convaincre. Ben Brik, Hammami et les autres sont des figures emblématiques de la résistance mais ils sont trop intellos pour faire vibrer les foules qui les prennent pour des « nabbaras » rien de plus ! Seuls Chebbi et Brahim ont l’opportunité de gouverner pendant la transition et de démontrer ainsi leurs compétences, mais leurs partis respectifs sauront ils transformer leurs réalisations en adhésion populaire ?
S’ils veulent jouer un rôle, tous doivent impérativement commencer à travailler une base et à expliquer une orientation. Au contact de la population, ils doivent expliciter leur positionnement et expliquer leurs différences.

Les Islamistes
Le problème des islamistes est inverse. Alors que leur assise morale sera toujours solide et leurs arguments efficaces auprès d’une base meurtrie mais rapidement mobilisable, ils ne sont absolument pas crédibles auprès des élites du pays. Apres tout, le couple Zaba – R. Ghannouchi est le Dr Jekyll et Mr Hyde de nos années 80. Ennahdha évoque le sectarisme et l’obscurantisme chez nombre de nos concitoyens et sa réapparition dans le paysage ne fera que les crisper, entravant la marche du processus démocratique. S’ils se préoccupent de l’intérêt général, ce parti et son leader doivent faire un travail d’introversion très approfondi doublé d’une communication intense pour se blanchir. Ils doivent clairement nous attester leur adhésion à la démocratie et à la laïcité. Il faut qu’ils reconnaissent le tourisme européen comme un pilier incontournable de notre économie au lieu d’y voir un signe de décadence. Déclarer 24 qu’ils ne visent pas à instaurer la charia est certes bien mais reste encore trop vague. Il faut aussi qu’ils nous rassurent sur leurs fréquentations. Nous sommes ravis de les savoir proches de l’AKP mais seront encore plus rassurés s’ils exprimaient leur distance avec les terroristes de tous bords.
Nous avons eu la chance d’avancer sans que la question islamiste soit au centre du débat. Elle finira par s'installer. Il faudra qu’on s’y prépare tous, partisans et opposants.

Les jeunes
Emergente mais décisive, la place des jeunes dans le paysage politique est désormais incontournable. Eduqués ou pas, ils doivent participer au remodelage du paysage politique. Avec leurs décentes dans la rue ou leur cyberactivisme, les jeunes on fait la révolte. Il faut maintenant qu’ils s'invitent dans la révolution mais en changeant d'approche : Arrivera un point ou les manifestations deviendront au pire contreproductives au mieux inaudibles. La participation effective au débat sera la seule forme de l'influencer. Les jeunes doivent massivement investir les partis et associations de tous bords. Il doivent choisir le meilleur relais à leurs doléances. Ils doivent comprendre que les partis sont des outils à leur dispositions pour alimenter un débat démocratique constructif.

…et le RDC ?
Affaibli et décrié, le parti recule et cède. Le peuple qui, par son "Dégage", souhaitait une disparition pure et simple du RCD ne verra (malheureusement) pas son vœux réalisé. Les cadres et militants de ce parti ne sont pas prêts à abandonner la scène et tenteront de se régénérer coute que coute. Faute de leader charismatique, je pense que le parti se subdivisera en plusieurs courants. Le Bourguibiste moderniste, le nationaliste, la droite populaire plus conservatrice etc… Comme Morjane, des personnalités créeront leurs partis en par spinoff consécutives, vidant RCD dont seul l'esprit subsistera. Une fois le traumatisme Benaliste passé, une galaxie néo-RCD aura son mot à dire, car malgré tout le tort qu’elle a causé, elle s’est toujours vue porteuse du fameux « projet civilisationnel » tunisien. Et maintenant que celui-ci passe effectivement à la vitesse supérieure, elle y serait une partie prenante.

Les mois à venir permettront au gouvernement de transition et aux commissions de remettre à plat les règles démocratiques pour préparer le terrain de jeu. A chaque partie de se mettre en ordre de bataille pour disputer au mieux ce « championnat » démocratique dans un esprit sportif !

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