jeudi 27 octobre 2011

Non à un gouvernement de soumission nationale

Les appels d’Ennahdha à former un gouvernement d'union nationale ne trompent personne. Certes calculée, cette posture est démagogique vis-à-vis du peuple et horriblement humiliante vis-à-vis des vaincus. La considérer est déjà s’abaisser, y participer s’est se soumettre et faillir à ses responsabilités.

Assumer la victoire : Inexpérimentés et déconnectés, les islamistes n’ont ni résisté à Ben Ali (depuis 95 environ), ni préparé la révolution ni su convaincre pendant une campagne mi figue mi raisin. Le chèque en blanc que leur signe 40% du peuple pour la beauté de leurs barbes est largement supérieur à leur capacité. Ce parti en reconstruction, sensé faire du ménage dans ses rangs le fera avec l’insolence du vainqueur. Sautant les étapes, il va croire que la Providence lui a confiée cette tache sacrée de reconstruire un pays. Il méprise déjà les perdants et annonce son candidat pour diriger le gouvernement. Aussi, il distribue la candidature à la présidence de la république avec un dédain dégoutant !
Conscient de la tache mais aveuglé par sa vanité, le parti ne peut pas résister à l’exercice du pouvoir. Qu’il le fasse, (1) pour s’y exercer, il en a bien besoin et (2) pour que les électeurs puissent juger sur l’action, à supposer que cela soit un critère de jugement…

Consolider l’opposition progressiste : On a toujours dit que les scores des élections du 23 octobre cristalliseront la photo du paysage politique. Maintenant c’est chose faite.
Ces mêmes scores dictent la conduite des responsables politique. Hormis les partis fantoches morts de fait, les progressistes sont clairement la seconde force du pays. Ils doivent aujourd’hui prendre leur responsabilité et s’organiser en opposition digne de ce nom.
L'émiettement de la force progressiste est très dommageable face à un gros bloc islamo conservateur dominant. Si avant les l’élection on pensait que la constituante était un terrain de jeu idéal pour peaufiner les contours de l'échiquier politique, on doit comprendre que c'est désormais un terrai de bataille politique pour contenir l'hégémonie Nahdaouie.
Il faut donc un travail d’introspection, une consolidation des forces en place, une simplification du message et une adaptation du discours sans lâcher sur les fondamentaux.

Une opposition forte est la seule garantie que notre démocratie fonctionne sur le long terme.

Les trois épouvantails d'Ennahdha

La raison d'être d'une dictature est la lutte contre un ennemi, son maintient est assuré par la peur de celui-ci.
Ainsi Ben Ali s'est justifié par sa lutte contre les islamistes, Castro, Khaddafi, Chavez les autres par leur opposition à l'impérialisme américain, etc etc...

Parceque le plébiscite d'Ennahdha semble s'expliquer (en partie) par des peurs, le risque que ce parti, une fois à court d'idées et fatigué de faire des sourires de façade, cède à la facilité d’y recourir, est à mon sens, important.


De quelles peurs parle-t-on:

1 – Les ennemis de la révolution : depuis le 14 janvier, Ennahdha et ses amis Kasbaouis on développé à merveille toute une théorie autour de l'« eltifef 3ala atthoura » ou la récupération d’une révolution qu’ils se sont appropriés à posteriori. Ils stigmatisent donc les ex-RCD et agitent l’épouvantail du retour en arrière. Ils veulent nous faire croire qu’ils sont la seule garantie contre cette régression en traitant leurs opposants d’oppostion de cartons, compromise sous Ben Ali.

2 – Les ennemis de la religion : le postulat de base (et mensonge grossier) à l’origine de cette deuxième peur est que l’identité arabo musulmane du Tunisien est menacée. Se déclarant comme les défenseurs de ces valeurs, les islamistes diabolisent tous leurs opposants progressistes. Le laique devient mécréant et le moderniste devient pro-occidental. Ils excellent au jeu d’amalgames évoquant la franc-maçonnerie, la collaboration avec l’étranger et par défaut la décadence des mœurs de ces gens, en somme amoraux..

3 – L’ennemi étranger : enfin, ils ne se gênent pas à utiliser la bonne vielle ficelle de l’ennemi impoérialo–sioniste tant ancrée malheureusement dans les pays arabes. Cette théorie du complot universel n’est pas de leur fait. Elle est portée par Al-Jazeera et autres médias barbus qui mélangent à souhait la colonialisme, la cause palestinienne, les guerres d’Irak et d’Afghanistan et autres faits pour une lecture géopolitique à la Huntington qui érige les islamistes au rang de résistants. L’homme de la rue (ai envie désormais dire de la 7ouma tant je suis déçu) y croit dur comme fer.

En jouant habilement sur ces trois plans et en alternant ces épouvantails au pauvre Kassirinois, au pseudo-intellectuel arabisant, au cadre haineux ou à la mère de famille conservatrice, ce courant politique peut s’assurer l’hégémonie culturelle et politique pour longtemps.

Le combattre en frontal est difficile tant ces arguments sont péremptoires.
L’enjeu est de s’adresser au Tunisien pour lui expliquer la nature exagérée et non fondée de ces peurs. Sans cette confiance en soi, en ses valeurs, le Tunisien ne dépassera jamais le stade de poussière d’homme. On ne peut pas regarder vers l’avenir, prétendre embrasser les valeurs universelles et construire l’homme moderne avec autant de préjugés.
Une révolution culturelle reste donc à faire, mais en attendant, il faut rester vigilent pour que le parti au pouvoir n’abuse pas de ces armes aussi rétrogrades que redoutables.